- Page précédente : NYARUMANGA – Vivre près du dépotoir (10 septembre 2010)
- Page suivante : Ah! … Ruvumu! (13 & 14 septembre 2010)
janvier 20, 2025
De Bujumbura à Ruyigi quel voyage! (10 & 11, 12 septembre 2010)
Vers 16 heures, nous partons avec Duke, Jocelyne et sa sœur Lina vers la ville de leurs parents, Ruyigi. C’est un endroit que nous voulions visiter et nos amis en profitent pour livrer des sacs d’école dans la région. Nous savons bien qu’ils le font beaucoup pour nous et nous les en remercions. En quittant Bujumbura, nous montons vers la crête Congo-Nil en passant d’abord a Bugarama, ville de produits maraîchers étalés le long du chemin et halte pour les gens qui veulent déguster brochettes de bœuf ou de chèvre avec bière ou Fanta. Nous, nous poursuivons notre route sur les hauteurs, jetant à droite et à gauche un coup d’œil sur les vallées humides où la population cultive la patate douce, le haricot, les oignons et le blé qui serviront à l’alimentation locale. Le damier vert foncé, vert pâle, entouré des terrasses de thé, vert jaune contraste avec, au loin, les grands eucalyptus bleu argent qui se balancent au vent. Du haut des montagnes, on dirait une œuvre d’art toujours belle à regarder. Soudain, nous remarquons à droite, que l’eau a envahi la vallée anéantissant les efforts et le travail des paysans et les privant des revenus nécessaires à leur survie. À mesure qu’on avance, la boue a remplacé les champs de culture. Au loin sur la route de macadam, il y a attroupement de personnes qui vivent dans la région ou de voyageurs qui ont quitté leurs véhicules, ne pouvant plus avancer. Tout le monde est un peu énervé. Un barrage a dû céder sous la force des pluies abondantes qu’on connaît depuis quelques jours et un torrent traverse la chaussée sur une distance de plus de cent mètres. Personne ne passe et on rapporte qu’un cycliste a été emporté par le courant. On lit l’inquiétude et l’hésitation sur tous les regards. Le bruit de l’eau et les échanges verbaux traduisent un état d’urgence. Les motocyclettes et des voitures retournent d’où elles sont venues, les conducteurs craignant la force du courant. Les trois hommes de notre Toyota étudient la situation et nous estimons qu’en étant prudent, on peut traverser. Nous le disons au propriétaire d’une Prado. Il nous regarde en riant : « Je suppose que vous souhaitez que je me risque afin de nous prendre en photo quand la voiture glissera dans la boue. » Enfin, Duke décide d’y aller et tout se déroule très bien convainquant les autres 4X4 de nous suivre. L’autre côté, les voitures sont arrêtées de travers nous obligeant de zigzaguer entre elles, certains conducteurs partis sur la colline pour essayer de voir ce qui est advenu du malheureux cycliste. Quant à nous, nous sommes heureux de ne pas avoir à faire demi-tour. Nous poursuivons allègrement notre route passant de nombreux villages et toujours accompagnés de ces longues files de paysans qui cheminent en bordure du chemin, montant les côtes, leurs bicyclettes parfois tellement chargées que les hommes doivent avancer le corps ruisselant et penchés sur le vélo alors que celui-ci est appuyé contre eux permettant ainsi un équilibre précaire. Les charges qu’ils transportent sont inimaginables. Quand ils dévalent les côtes, il arrive que l’un des cinq gros sacs de charbon s’ouvre et laisse tomber le précieux produit. Essayez d’imaginer l’effort qu’il faut pour freiner afin d’éviter le pire. La route étincelle toujours des milles couleurs des vêtements que portent les femmes : des pagnes jaunes, verts, bleus royal, orange. Et nous filons vers Gitega. Plus loin, alors que la nuit s’est installée, nous empruntons la route nationale 13 en direction de Ruyigi, notre destination. Non pas une route de nids-de-poule, mais plutôt de nids d’autruches ou d’éléphants. Ça n’a pas de bon sens. Le macadam est devenu rouge de toute la terre sortie de ces nombreux trous. Il faut beaucoup d’adresse même si souvent nous ne pouvons rouler à plus de vingt kilomètres à l’heure. Duke nous avait avertis en partant que ce serait une gymnastique toute spéciale pour arriver à bon port…. Halte! Dans la région de Butaganzwa, nous sommes bloqués par un petit convoi fermé par un camion dans la boîte duquel un milicien bien armé scrute la route et surtout les falaises de chaque côté de la route. Dans notre voiture, les corps se redressent sur les banquettes, les regards sont inquiets et Daniel sent la main de Jocelyne lui serrer le bras. Il est évident que nos amis Burundais revivent ce soir les moments pénibles qui ont décimé leurs familles ou celles de leurs amis et qui ont engendré tant de souffrances et de cauchemars. Ça ne peut pas disparaître, ce fut trop pénible et c’est encore présent. Même nous qui n’avons pas connu ces épisodes, nous regardons devant en essayant de tout surveiller. Nous ressentons et partageons l’inquiétude. Dans le halo des phares qui s’amenuise au loin sur la route, la marche lente et en une rangée d’environ dix fantassins dont nous ne percevons que les jambes, nous oblige pendant quarante minutes à avancer au rythme de leurs recherches. Arrêt, départ… Arrêt plus long, regards à gauche et à droite cherchant le moindre indice… Puis on avance à nouveau. Sur les falaises autour de nous, les gens du coin cherchent à comprendre ce qui est arrivé. Mais qu’est-il arrivé? Ça semble grave. Les échanges dans l’auto se résument à quelques mots, occupés que nous sommes à scruter la nuit. On dit que quand les gens se tiennent le long de la route, le pire est passé. Sinon, les personnes se terrent dans leurs maisons. Enfin, les miliciens nous laissent partir à notre vitesse, mais nous demeurons toujours soucieux de savoir ce qui s’est déroulé ici. Arrivés à Ruyigi dans la soirée, nous rencontrons Balthazar de la Radio Publique Africaine qui nous apprend qu’il y a eu tirs et qu’il y aurait un blessé. Le lendemain, nous allons visiter l’œuvre de Maggy en faveur des orphelins de guerre. Entre autres, elle a fait construire un hôpital, l’hôpital Mera où nous croisons par hasard le blessé en question traîné sur une civière en compagnie de sa famille. Lina le reconnaît, ils étaient ensemble à l’école primaire. C’est en sortant de l’hôpital que Jocelyne rencontre le frère de la victime qui lui relate les événements. Le chauffeur se dirigeait vers Ruyigi en ralentissant à chaque trou comme nous. Il aurait été sommé d’arrêter par un individu portant torche électrique et machette. Le conducteur a posé le seul geste susceptible de sauver les occupants. Il accélère en zigzaguant. Plus loin, un homme embusqué est sorti sur la route et s’est mis à tirer dans les pneus et sur l’auto ne blessant à l’épaule que l’homme au volant. Avant d’aller à l’hôpital cet après-midi là, nous avions rendu visite à une femme extraordinaire qui, en 1972, avait dû quitter le Burundi pour se réfugier au Rwanda puis au Congo. Elles avaient dû revenir chez elle à cause de la maladie alors que les autres de la famille avaient été obligés de rejoindre la Tanzanie. C’est en échangeant avec Imelda, cette sage, que nous comprenons combien les hommes et les femmes de ce pays rêvent de paix et de sérénité alors que traînent dans le pays des brigands de grands chemins ou des fous rêvant de pouvoir.
Ne vous en faites pas, nous avons terminé nos courses à l’intérieur du pays où de telles folies peuvent se passer. Dans cinq jours nous serons parmi vous, apportant avec nous la richesse inouïe des amitiés que nous avons eu le bonheur de tisser.
Daniel et Michel